Baraques (barak) pour les detenus



Vestiges


Plan de la baraque ouest.

Le camp comportait vraisemblablement trois baraques servant de logement aux détenus. On les reconnaît aisément, car il s’agit des bâtiments les plus imposants du camp.

Sur ces trois baraques, l’une a presque entièrement disparu (baraque nord). Seules ses fondations sont encore visibles. Tout le reste a été récupéré, pour servir de bois de chauffe ou pour la construction d’un autre bâtiment, en un autre lieu.

Une deuxième baraque est partiellement effondrée (baraque est). Elle n’a pas été étudiée en détail en 2019.

La troisième, en revanche (baraque ouest), est bien conservée. C’est elle qui est décrite ici. Il faut noter que la baraque est est très similaire à celle ouest : ces bâtiments étaient construits selon des normes précises et avec des pièces préfabriquées (depuis les madriers jusqu’aux portes et fenêtres : voir la page consacrée aux techniques de construction).

La baraque ouest mesure 17m de long (sans compter les sas) pour 8.5m de large. Elle possède deux entrées, situées sur ses deux petits côtés. On accède aux dortoirs en passant par des sas, aménagements essentiels qui permettent de réduire les échanges thermiques entre l’intérieur et l’extérieur.

L’intérieur de la baraque est séparé en deux dortoirs de même taille, dotés chacun de deux poêles en brique. Disposés au centre des pièces et contre les parois, les lits à deux étages sont majoritairement du type vagonka. D’après leur nombre, on peut déduire que 50 détenus logent dans un dortoir et 100 au total dans une baraque. Toutefois, il est certain que cette capacité peut être augmentée au besoin : les récits de baraques surpeuplées ne manquent pas.

Découvrons les réactions d’Eric Hoesli, de l’étudiante russe Katya, et de l’étudiant suisse Vincent.




Retrouvons Vadim à l’intérieur du dortoir. Entretien enregistré le 16 Août 2019, traduction Eric Hoesli.





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La baraque ouest vue de l’est, avec la cuisine en arrière-plan
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La baraque est vue de l'extérieur.
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La baraque ouest vue de l’extérieur.
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Vue du sas depuis un dortoir. Les sas sont des pièces carrées de 3m de côté, dotées d’une petite fenêtre en hauteur.
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Les détenus dorment sur des couchettes disposées en ligne. Longs de 160cm seulement, ces lits sont simples ou doubles. Ils ont tous deux étages et sont fixés aux murs ou à une traverse elle-même fixée aux poteaux centraux de la pièce.
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Dortoir avec la pièce de bois qui sert de bordure aux lits et traverse la pièce dans sa longueur.
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Dortoir avec les vestiges des deux poêles, sur les côtés.





Témoignages


Les baraques-dortoirs étaient un des principaux lieux de vie des prisonniers. La vie en communauté et la proximité entre individus donnaient souvent lieu à des intrigues de toutes sortes, parfois violentes.


Iouri Petrovitch Iakimenko, ancien prisonnier sur le projet 501

En entrant dans les baraques, on pouvait apercevoir sur les murs de grandes taches de sang visibles sous la chaux. On voyait aussi des tâches sur le sol : difficile d’effacer le sang en le nettoyant. Par la suite, nous avons appris qu'avant notre arrivée, une véritable boucherie entre prisonniers avait eu lieu. Les tchékistes ont eux-mêmes excité les « voleurs » et les ont jetés aux « chiennes ». Dans les camps, ce sont deux clans irréconciliables. Un « voleur » pourrait encore passer dans le camp des « chiennes », mais une « chienne » ne peut qu’être exterminée selon la loi du Milieu, car cette dernière est un « voleur » qui a trahi la loi. Les tchékistes disaient : « Lénine a affirmé que la pègre se détruirait elle-même ». C’est pourquoi ils attisaient cette animosité par tous les moyens : ils lâchaient les « chiennes » sur les « voleurs » et les « voleurs » sur les « chiennes ». Ils se saignaient les uns les autres. Mais c’était essentiellement des gars complètement innocents qui se faisaient entraîner dans ces histoires, car ils devaient, en raison des circonstances, soutenir soit les « voleurs » soit les « chiennes ». Si tu ne les soutenais pas, les uns comme les autres te tuaient. Les gars soutenaient plutôt les « voleurs », parce qu’ils avaient des règles sur ce que l’on pouvait ou ne devait pas faire. Tandis que les « chiennes » n'en avaient pas, elles étaient toujours soutenues par l'administration du camp. Par leur force brutale, elles forçaient les autres à travailler, elles-mêmes travaillaient dans des endroits chauds et commodes.
(I. P. Iakimenko, Dans les prisons et les camps, p. 88)


Vassili Dmitrievitch Bassovski, ancien prisonnier sur le projet 503 (Goulag d’Igarka puis d’Ermakovo)

« Au départ quand il n’y avait pas encore de logements distincts, on pouvait vivre jusqu’à 200 dans une même baraque. Et seulement ensuite entre trente et cinquante personnes par habitation. Les petites salles à l’entrée des baraquements n’étaient pas des pièces à vivre : dans l’une d’elles, on faisait sécher les valenkis, dans les autres on avait par la suite installé des lavabos. Au début quand ils nous ont amenés sur le camp toutes les commodités se trouvaient à l’extérieur, on se nettoyait avec de la neige. »
(Projet N°503 (1947-1953) Documents. Documentation. Recherches., Fascicule 2, p. 127)


Margarita Mikhaïlovna Solovieva ancienne organisatrice culturelle sur le projet 503

« Les baraques étaient séparées en deux sections, dans chaque section vivaient soixante personnes. Chaque femme avait son châlit. Il y en avait assez pour tout le monde. Chacune avait son matelas, ses draps. Mais bien sûr, je ne souhaiterais à personne d’y séjourner, ni à un ami ni à un ennemi. »
(V. N. Gritsenko, Le Yamal du Nord sous Staline, p.132)


Margarita Mikhaïlovna Solovieva ancienne organisatrice culturelle sur le projet 503

[Interview mené par l’historien Vadim Gritsenko]

V. G. : Quelle ambiance régnait à l’intérieur des baraquements ? Y’avaient-ils des criminelles de droit commun parmi les prisonnières ?
M. S. : Il y avait de tout. Mais de manière générale, les femmes s’accommodaient bien les unes aux autres. Il survenait parfois des altercations, des scandales, mais tout cela cessait rapidement. C’était particulièrement pénible en automne, quand ils amenaient par chalands des bottes de foin pour les chevaux. Avec ce foin arrivaient, pour le déchargement, des hommes. Dans le camp, les femmes avaient déjà bien assez à faire…commençaient alors les histoires d’amour, les bousculades et plus tard les bagarres, les tueries.
V. G. : Même des tueries ?
M.S. : Absolument, entre les prisonnières.
V. G. : Les femmes elles-mêmes tuaient ?
M. S. : Oui bien sûr ! Là, travailler devenait vraiment pesant. Nous essayions de renvoyer au plus vite cеs hommes et on forçait les femmes à décharger elles-mêmes le foin. Ce n’était pas plaisant, mais les femmes restent des femmes… Les gardiens se mettaient alors à tirer, mais les prisonnières se précipitaient quand même vers les chalands, dévalant la berge escarpée. Les gardiens tiraient en l’air pour que les femmes se dispersent. Mais pour aller où… Tu peux leur tirer dessus, elles ne partiront pas ! Si ça fait environ huit ans qu’une prisonnière est en détention, qu’elle n’a vu rien ni personne, ça lui est bien égal que tu la tues aujourd’hui ou demain. Et cette façon qu’elle avait de s’élancer sur les hommes… oh c’était affreux !
(V. N. Gritsenko, Le Yamal du Nord sous Staline, p.133-134)

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